Guide de la capitale Paulista, une ville qui a réalisé l’impossible : ne ressembler à nulle part ailleurs

Traduction libre de l’article d’El País : « São Paulo, minha amiga gigante »

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles une personne a l’occasion de se rendre à São Paulo, mais il est également vrai que très peu de gens y viennent s’ils n’ont rien à y faire. À São Paulo, il est plus facile de trouver un magasin d’uniformes pour femmes de ménage qu’une office de tourisme. Mais ce n’est pas simplement ça. La plus grande ville d’Amérique du Sud peut ressembler à un mystère même pour le plus aguerri des voyageurs : ce monstre de 1.500 kilomètres carrés et 12 millions d’habitants, essentiellement une jungle de gratte-ciels et d’hélicoptères, ne possède que très peu d’espaces publics.

Cependant, malgré l’absence de plages et de forêts, c’est un endroit extrêmement brésilien. Brésilien dans le sens où c’est un lieu de riches peuplé de pauvres, et parce qu’il incarne bien l’expression du musicien Tom Jobim : « le Brésil n’est pas pour les amateurs », répétée ici avec fierté et beaucoup d’arrogance. En outre, son inaccessibilité est intrinsèquement brésilienne : la région a été colonisée non pas à travers la création de communautés, mais à partir de fermes isolées, où les hommes d’affaires fabriquaient du sucre avec leurs esclaves. « São Paulo est la culture de la ferme poussée à son extrême », explique Benjamin Moser, l’auteur américain du livre Autoimperialism: Three Essays on Brazil. « Bien que cela paraisse un lieu moderne, c’est en fait le résultat le plus extrême de l’économie rurale esclavagiste, où le désir individuel de s’enrichir est le seul impératif social. » Mais il n’est pas impossible de trouver une logique dans cette ville, et même d’y voir un certain charme, bien loin de la disneylandisation du tourisme, et même de l’admirer. Ceci quand vous réalisez que vous êtes dans un lieu qui a réalisé l’impossible de nos jours : ne ressembler à nulle part ailleurs.

L’architecture

Immeuble Copan São Paulo

Immeuble Copan dans la région centrale de São Paulo

São Paulo n’a pas d’attractions touristiques, mais c’est le contraire d’un paysage désolé : les rues sont remplies de bâtiments. Là où l’on devrait voir l’horizon, il y a un énorme bâtiment, puis un autre, puis un gratte-ciel, un condominium, une maison, tout ce qui est grand, fruit d’une spéculation excessive et d’une vocation nationale pour la grandiloquence. Sa skyline pourrait être comparée à celle de New York, si ce n’est que lorsque vous essayez de regarder au loin, vous réalisez que la ville continue dans toutes les directions. « À Brasilia, les bâtiments sont isolés, au milieu de nulle part, parce qu’à cette époque, le style international adorait la marginalisation : à São Paulo, ils sont le paysage », explique Raul Juste Lores, critique d’architecture et auteur de São Paulo nas Alturas, à propos de la tendance internationale dans les années 50 et 60.

Cet amoncellement d’architectures est ce qui transforme la ville elle-même en une attraction touristique. Il y a deux façons de voir les choses. La facile : rendez-vous sur l’Avenida Paulista , artère centrale de la ville, et parcourez ses trois kilomètres de blocs de béton armé ; c’est le lieu d’authentiques chefs-d’œuvre de la démesure, tel que le Conjunto Nacional (Avenida Paulista, 2073). La plus difficile est de se planter sur la Praça da República, dans le centre historique aujourd’hui repère d’innombrables toxicomanes, voleurs et familles de sans-abris. Là, les bâtiments de style international sont décolorés, occupés par des squatteurs et couverts de graffitis. Ce paysage post-apocalyptique, digne d’un Blade Runner avec des palmiers, n’existe nulle part ailleurs, et arriver à en comprendre sa beauté – tragique et peu évidente, mais beauté tout de même – change absolument tout. Plus que tout autre endroit, São Paulo est cette leçon. Près de la Praça da República, on trouve aussi l’une des plus célèbres vues de Sao Paulo : l’intersection des lignes courbes du Copan (Avenida Ipiranga, 200) d’Oscar Niemeyer, avec l’Edifício Itália (Avenida Ipiranga, 344).

Restes du futur

Centre São Paulo Brésil

Centre de São Paulo

Le centre représente aujourd’hui le passé, un concept peu apprécié dans le pays. « Le Brésil a toujours été obsédé par l’avenir, mais si cela peut paraître optimiste, ce n’est pas le cas ; au contraire, c’est en fait une manière d’échapper au passé », explique Moser. « Il existe cette idée selon laquelle le Brésil n’est pas tout ce qu’il devrait être (un pays riche et moderne), et c’est pourquoi les Brésiliens partagent un sentiment de honte, très profond et très personnel. Chaque génération croit que les choses vont mal maintenant, mais qu’elles iront mieux après. Et à chaque génération, cette croyance finit par être terrible et brutalement frustrante. » São Paulo est composée d’innombrables tentatives de s’approprier l’avenir, pariant sur une apothéose qui finira plus tard rouillée. Comme Higienópolis, un quartier proche du centre, fondé pour être aristocratique et directement baptisé en allusion à ce qui manquait à tout le reste. Dans les années 50, ses riches résidents juifs ont commencé à rivaliser pour avoir le bâtiment le plus ostentatoire et moderne. Une promenade dans ses rues, en commençant par l’impressionnant Domus dans la Rua Sabará, 47 – un bâtiment résidentiel en forme de gâteau de mariage – est donc une expérience mémorable : sur l’Avenida Higienópolis, se mélangent le gréco-romain et le futuriste, le haut et le curviligne. En fait, celui qui l’a conçu fut Artacho Jurado, qui voulait être architecte mais ne pouvait pas étudier, car pour entrer à l’université, il aurait dû jurer sur le drapeau, et son père, un anarchiste espagnol, ne le permettait pas. Pour arriver à ses fins, il réussit à faire payer les riches juifs riches d’Higienópolis pour la conception de leurs maisons, conception ensuite signée par des architectes dûment formés. De son imagination sont nés quelques fantasmes de l’architecture moderniste comme l’edifício Cinderela (bâtiment Cendrillon) (Rua Maranhão, 163). Pour le plaisir des yeux, vous pouvez admirer le classicisme raffiné des edifícios Itamarati (Avenida Higienópolis, 147) et la plus belle entrée de bâtiment de la ville à l’edifício Piauí (Rua Piauí, 428).

Immeuble Higienópolis São Paulo

Immeuble dans le quartier d’Higienópolis à São Paulo

L’obsession pour l’avenir provoque parfois des traumatismes. L’un des plus célèbres est le Minhacão . À la fin des années soixante, il fut décidé que l’avenir appartenait aux voitures et la construction d’un viaduc fut planifiée afin que les véhicules puissent désormais circuler majestueusement au-dessus des hommes. Inauguré en 1969, il a dû être fermé au moins pendant les weekends dès 1976 : les voitures passant à cinq mètres des fenêtres de certains appartements, le bruit était insupportable. Aujourd’hui, tous les dimanches, c’est un point de rendez-vous prisé de la jeunesse Paulistana qui, depuis la Praça Roosevelt, occupe ses 3,5 kilomètres de bitume pour jouer de la musique, prendre des photos, boire une bière ou simplement admirer le coucher du soleil dans ce lieu où la lumière de la ville passe du blanc au rouge comme nulle part ailleurs. Ils sont accompagnés par les gens aux fenêtres à cinq mètres d’eux et par ceux qui passent sous le Minhacão. Dieu merci, le futur va parfois de travers.

Vestiges du passé

Immeuble Banespa São Paulo

Immeuble Banespa dans le centre de São Paulo

Bien que colonisé par les sans-abris, le central Vale do Anhangabaú reste cependant l’un des rares endroits où l’on peut ressentir l’histoire de la ville. Ici se dresse l’Edifício Martinelli (Rua São Bento, 405), la premier gratte-ciel de la ville (et de toute l’Amérique Latine), conçu par un homme d’affaires italien qui voulait laisser son empreinte. On y trouve aussi l’impressionnant Mirante do Vale (Avenida Prestes Maia, 241), le deuxième plus haut bâtiment du Brésil depuis qu’il fut dépassé en 2014.

Une partie du problème narratif de São Paulo est qu’elle est avant tout une capitale financière, et son histoire est faite de succès commerciaux ennuyeux. Et certaines tentatives d’y remédier furent quelque peu maladroites. Lorsque vous vous rendez au Parc Ibirapuera , vous tombez sur un monument dédiée aux Bandeirantes. « C’est une chose relativement étrange de rendre hommage aux hommes cruels et sans cœur qui ont colonisé l’intérieur du Brésil », ajoute Moser. São Paulo est d’ailleurs la seule ville qui célèbre l’existence de ces hommes, haïs du reste du pays pour avoir réduit en esclavage et assassiné les populations indigènes. « Ils semblent vouloir célébrer un idéal dont la ville ne dispose pas, une valeur ou une conscience nationale afin de ne pas être réduit à un endroit où l’on gagne de l’argent. » Il y a des monuments dans toute la ville, mais à Ibirapuera au moins, il y a des œuvres de Niemeyer à admirer.

Une autre façon de voir l’art

Vous ne pouvez pas visiter São Paulo sans rendre un hommage sincère à celle que le critique Martin Filler a dénommé « la Anna Magnani de l’architecture », l’italo-brésilienne Lina Bo Bardi (1914-1992). Au 1578 de l’avenue Paulista, personne ne peut ignorer l’une des icônes de la ville et déjà un classique de l’architecture contemporaine. Le Museu de Arte de São Paulo (Musée d’Art de São Paulo – masp.art.br), datant de 1958, est lui-même une œuvre d’art, encadré de piliers peints en rouge et suspendu entre eux sur 74 mètres de long à 8 mètres au-dessus du sol. Le musée, en outre, a retrouvé en décembre 2015 la présentation originale des œuvres de sa collection sous forme de chevalets de verre juchés sur des bases de béton disséminées dans toute la salle. De telle sorte que les œuvres ne s’admirent pas pendues aux murs, mais dans une sorte de forêt transparente où elles semblent léviter. Cette disposition, qui dans les années 1960 rompait avec la vision hiérarchique traditionnelle en recherche d’une organisation non linéaire, fut supprimée en 1996 et ré-instaurée grâce au prestigieux conservateur Adriano Pedrosa, responsable du musée depuis 2014, et à l’équipe Metro Architects, qui a conçu les nouveaux chevalets. Une initiative qui transforme le MASP en l’un des musées les plus originaux au monde.

Musée MASP São Paulo

La collection du musée MASP à São Paulo

L’admiration produite par la clarté structurale de ce bâtiment de Lina Bo Bardi s’accroît avec la visite d’une autre de ses œuvres, le SESC Pompéia (Rua Clélia, 93), de 1977-1986. C’est l’œuvre la plus expérimentale, innovante et inclassable de l’architecte : une ancienne usine qu’elle a décidé de ne pas démolir mais de transformer en centre communautaire culturel, sportif et de loisirs, plaçant dans cette entreprise toute sa véhémence et sa passion. La Casa de Vidro (Maison de Verre – 1951) et le Teatro Oficina (Théâtre Oficina – 1990) sont d’autres œuvres de l’architecte dans la ville.

Parmi les autres centres culturels, on peut distinguer le Banco do Brasil (Álvares Penteado, 112 – http://www.culturabancodobrasil.com.br/), et parmi les galeries d’art, l’une des meilleures est le Mendes Wood DM (Rua da Consolação, 3358). La galeria Leme (Avenida Valdemar Ferreira, 130), œuvre de l’architecte Paulo Mendes da Rocha, et la Livraria da Vila, de l’architecte Isay Weinfeld, située dans le Shopping Cidade Jardim, valent également le détour. Et pour ceux qui aiment le street art, une obsession des Paulistanos, le Beco de Batman est un incontournable du quartier bohème de Vila Madalena (Rua Gonçalo Afonso).

Gastronomie vertigineuse

Quartier Liberdade São Paulo

Le quartier japonais de Liberdade

Une fois dans la ville, c’est une question de temps avant que vous n’entendiez que São Paulo est la New York de l’Amérique Latine, qu’elle réunit la plus grande colonie de Japonais en dehors du Japon et qu’elle est l’une des capitales mondiales de la gastronomie. Ce sont les points forts soulignés par Paulistanos. Et le plus curieux est que rares sont les personnes qui peuvent recommander leur restaurant préféré. Ici, les établissements gagnent et perdent leur crédibilité à un rythme vertigineux. Dans cette instabilité permanente, le quartier de Liberdade, dans le centre, fait exception. C’est en effet le coeur de cette fameuse colonie japonaise avec les meilleurs restaurants japonais du pays. En particulier, l’Izakaya Issa (Rua Thomaz Gonzaga, 20), où la propriétaire (reconnaissable aux portraits d’elle sur les murs, avec ceux des actrices japonaises des décennies passées) décide ce que vous pouvez ou ne pouvez pas manger. Le tori karaage est spectaculaire et le saké national est une terrible idée. Pour connaître la gastronomie brésilienne, le meilleur est le Carlota (Rua Sergipe, 753, carlota.com.br), restaurant favori de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso. Une option moins chère, mais aussi savoureuse, est le Tordesilhas (Alameda Tietê, 489, tordesilhas.com).

Vie nocturne

Bar Balsa São Paulo

Bar Balsa, dans le centre de São Paulo

Tout programme nocturne à São Paulo dépend d’une variable : est-ce que c’est jeudi ou non. C’est le jour d’ouverture du bar Balsa (Rua Capitão Salomão, 26) et il n’y a pas de discussion possible : ce bar, niché au quatrième étage d’un immeuble endommagé du centre, dispose d’une terrasse avec la plus belle vue de la ville sur le Vale do Anhangabaú. Si ce n’est pas jeudi, il faudra se contenter du meilleur bar de la capitale, le Riviera (Avenida Paulista, 2584 – rivierabar.com.br), où se réunissaient les intellectuels de gauche pendant la dictature militaire. Il vient d’ouvrir à nouveau, heureusement avec le design original de 1949 et sans les intellectuels. Après le premier cocktail, chacun saura ce qui l’attire plus : si c’est la musique, Ó Borogodó (Rua Horácio Lane, 21) offre la samba en live la plus mélancolique de la ville. Après minuit, c’est l’heure du Lourdes (Rua da Consolação, 247), haut-lieu de la communauté arty Paulistana. Il est aussi possible que l’autodrome d’Interlagos offre un festival (São Paulo accueille en effet les éditions brésiliennes du festival australien Milkshake et du Lollapalooza) : si c’est le cas, c’est là où tout le monde sera. Mais si vous voulez quelque chose de plus alternatif, la Cesta Ácida (Praça da Sé, 156) génère un culte quasi-religieux.

La foule

Praça Roosevelt São Paulo

La Praça Roosevelt à São Paulo

La nuit, il est fréquent de voir des centaines de personnes massées devant l’entrée de certains bars, buvant ce qu’ils peuvent acheter auprès des vendeurs de rue. La plupart de ces gens n’entrent jamais dans l’établissement, une caractéristique fondamentale de la vie à São Paulo. L’activité principale est à l’extérieur du Paribar (Praça Dom José Gaspar, 42) avec des gens de toutes les couleurs, âges et classes sociales. Le public LGBT se réunie principalement sur la Praça Roosevelt. Un autre grand lieu de rassemblement de la jeunesse Paulistana est le Largo da Batata, notamment devant le bar Void, dans le quartier trendy de Pinheiros. Les options pour continuer la fête jusqu’au petit matin (ou au dimanche après-midi), ne manquent pas entre boîtes de nuit et autres afters.